Quelle place pour les IA dans le monde de l'art ?

Dall-E 2, Stable Diffusion, Midjourney sont des intelligences artificielles capables de générer de nombreuses images en s’inspirant d’œuvres déjà existantes. Mais l’utilisation de ces IA dans le monde de l'art divise ses acteurs.

Quelle place pour les IA dans le monde de l'art ?
Théâtre D'opéra Spatial, par Jason Allen, premier prix du Colorado State Fair.
Quelle place pour les IA dans le monde de l'art ?

Été 2022, Jason Allen propose lors d’un concours d’art au Colorado, une œuvre composée par l'intelligence artificielle Midjourney. Après une centaine d’images générées, l’artiste est parvenu à un résultat satisfaisant, qu’il a inscrit en concours sous le nom d’auteur Jason M. Allen via Midjourney. Elle gagne le premier prix sans trop de suspense. Une situation qui va rapidement déclencher une polémique sur les médias et les réseaux sociaux. Certains qualifient l’action de l’artiste de « mise à mort de l’art sous nos yeux ». Midjourney récidive le 10 mars en réinterprétant « La Jeune Fille à la perle », chef-d'œuvre baroque de Vermeer. Les boucles d’oreilles deviennent ainsi luminescentes et des tâches de rousseur rougeâtres font leurs apparitions. De quoi étonner les visiteurs de l’exposition du musée Mauritshuis de La Haye, ayant pour but initial de faire découvrir des versions de fans de l’œuvre d’art. Comme pour le cas précédent, des artistes ont contesté l’exposition de l’œuvre d’art. Dans la foulée, l’artiste néerlandaise Iris Compiet déclare sur Instagram que l’exposition de cette œuvre est une honte absolue. Elle déclare à l’AFP : « C’est une insulte à l’héritage de Vermeer et aussi à tout artiste en activité. Venant d’un musée, c’est une vraie gifle ». Ces deux récentes polémiques démontrent une certaine tension dans le milieu artistique. Entre pro et anti-IA, la bataille fait rage.

Comparaison entre « La Jeune Fille à la perle » de Vermeer (à gauche), et sa réinterprétation par MidJourney (à droite).

Deux visions de l’art en opposition

La question de l’intelligence artificielle dans l’art polarise l’univers artistique. Deux camps se font face. Le premier s’oppose catégoriquement à l’utilisation d’outils comme Midjourney. Pour défendre leurs points de vue, ils avancent que cela dénature le travail des artistes qui s’en servent et qu’à juste titre, le temps pour réaliser un tableau diffère. Là où une IA prend quelques secondes pour créer un tableau de toute pièce, un artiste alloue beaucoup plus de temps pour produire une œuvre aboutie, plaisant au client et au public. Le second argument de l’opposition est le bas prix que coûte la génération d'images par IA. L’artiste, quel que soit son domaine, doit être payé pour son travail et le temps, souvent conséquent, passé à réaliser son œuvre. Des contraintes que n’a pas l’intelligence artificielle qui permet d’exaucer toute demande simple en un minimum de temps au détriment des artistes humains.

 

Dans un billet pour le média Numerama, l’illustrateur François Béranger témoigne de son inquiétude : « Même s’ils peuvent paraître “cools” au premier abord, ces générateurs d’images font peser à moyen terme un réel danger sur toute la création artistique ». Il déplore également le manque de sens que peut avoir le résultat final des œuvres produites, plus proche de l’illustration que de l’expression artistique, et s’inquiète de la disparition des petits jobs pour les artistes qui souhaitent se lancer. Il illustre son propos par la publication d’une couverture de roman généré par IA par les éditions Michel Lafon. Une utilisation qui pose question, mais qui paraît futuriste pour certains. Beaucoup annoncent l’avènement de l’IA comme une révolution, au même titre qu’Internet et qu’il faudra s’habituer à son utilisation. Et ce, peu importe le domaine : Dans le monde de l’illustration, avec Dall E 2,  mais aussi dans les sphères littéraires, où des outils comme Chat GPT, sont doucement introduits malgré leur perfectibilité. D’autres ne vont pas aussi loin et affirment juste que l’IA est bienvenue pour aider l’artiste à s’exprimer dans son art et le décharger de tâches inutiles. 

 

Podcast de France Culture : « "IA Art" : comment la technologie révolutionne le geste artistique ».

Dans un podcast sur France culture, Boris Dayma, créateur d’une alternative à Dall-E déclare : « Je vois énormément de gens qui vont faire une image au début grâce à certains de ces programmes et qui vont après utiliser Photoshop, retoucher le contenu à la main et en faire quelque chose de magnifique. Donc c’est surtout un outil supplémentaire… ». Dans ce même podcast, l’artiste Grégory Chatonsky voit également une opportunité : « Je suis pour une culture de l’expérimentation. C’est-à-dire qu’il faut que les gens expérimentent l’intelligence artificielle ou l’imagination artificielle, de manière à sortir de ce récit à la Terminator, qui est drôle mais qui nous empêche de penser la réalité de ces choses et à leur impact réel ». Jason Allen, fameux gagnant du concours impliquant Midjourney, déclare : « C’est intéressant de voir que toutes les personnes sur Twitter qui sont contre l’art généré par intelligence artificielle sont les premières à oublier qu’il y a un humain derrière ce travail. Est-ce que ça ne vous paraît pas hypocrite ? ». Bien qu’il soulève une piste intéressante, l’utilisation de l’IA soulève aussi d’autres problématiques noircissant le tableau. 

Des IA accusées de plagiat

 

De nombreux artistes évoquent un angle mort lié aux générateurs d’images, comme Stable Diffusion. La manière dont le logiciel génère les images pose des problèmes éthiques et place la question du plagiat au centre du débat. Pour procéder à la création d’une image, les œuvres puisent dans des bases de données composées de milliers d’œuvres d’art existantes et soumises aux législations des droits d’auteurs, sans rémunérer les artistes au préalable. Ce qui pose légitimement problème à de nombreux artistes. Ainsi, de nombreuses générations d'images ou de vidéos par les IA résultent d’un mélange de plusieurs œuvres artistiques. Certaines peuvent aussi imiter le style d'un artiste en particulier. Des problèmes reconnus par les dirigeants d’Open AI et le patron de Midjourney, David Holz. Ce dernier déclare pour The Register : « À ma connaissance, chaque grand modèle d’IA est essentiellement formé sur des choses qui se trouvent sur Internet. Et ce n’est pas grave, en ce moment. Il n’y a pas de loi spécifique à ce sujet.» Ce flou dans les sources utilisées pose problème et a conduit un collectif d’artistes à mener une action en justice contre les IA génératrices d’images, principalement pour violation des Digital Millenium Copyright Act (DMCA) et concurrence déloyale. Un recours soutenu par de nombreux artistes, ayant vu leurs travaux repris par les bases de données des intelligences artificielles.

 

Le site developpez.com rapporte le témoignage de Tara McPherson, peintre et affichiste, se plaignant que son travail soit repris sans son consentement et craignant pour son avenir, considérant l’amélioration des IA comme un danger pour son métier. Dans le cas de cette plainte, c’est l’échantillon LAION-5B qui est principalement mis en cause, pour avoir eu recours à des images soumises à droit d’auteur sans compensation financière pour la création d’images similaires. Une situation qui pourrait mener selon la plainte au remplacement des artistes à l’avenir. De plus, ce domaine généralement précaire voit d’un mauvais œil une automatisation du métier leur raflant certains contrats. Les plaignants réclament donc la mise en place d’une législation proche du cas de la musique sur les plateformes de streaming en termes de rétribution des artistes, y ajoutant des exigences de réparations financières. Cependant, plusieurs écueils restent à éclaircir : comment prouver que leurs œuvres ont bel et bien été employées par l’IA ? Est-il possible de les retirer dans ce cas ? Quels moyens pour protéger les œuvres originales de la réutilisation par l’IA ? Doit-on rémunérer les artistes en cas d’usage avéré de leurs œuvres sur une image générée ? Pour l’avocat du collectif, Matthew Butterick, « l'IA doit être juste et éthique pour tout le monde », posant ici les bases d’une question qui commence tout juste à alimenter le débat public. 

Co-écrit avec Killian Ravon.