“ À Nantes, l’affaire Steve ne sera jamais oubliée ”

“ À Nantes, l’affaire Steve ne sera jamais oubliée ”

C’était il y a maintenant plus de 2 ans. Le drame s’est passé durant la Fête de la Musique, le 21 juin 2019, lors d’une soirée électro en bord de Loire qui s’est prolongée. Steve Maia Caniço, un animateur périscolaire de 24 ans, tombe dans la Loire, à 3h44, quai Wilson, à la suite d’une intervention de police venue disperser le rassemblement. Son corps avait été retrouvé noyé dans le fleuve plus d'un mois plus tard. Joffrey, ex-animateur à Treillières, faisait partie de ses amis. Il raconte ce qui a changé pour lui depuis le drame.

Où en êtes-vous deux ans après les faits ? 
"Je ne suis plus dans un état d’esprit où j’y pense tout le temps. Il y a plein de choses qui ont changé dans ma vie, liées à ça, qui ont été impactées. Cela m'a aussi donné une autre vision des choses, concernant mon entourage. J’essaie désormais de profiter du moment présent, d’avoir des relations plus saines, plus simples."

Quelle était votre relation avec Steve ?
"Nous étions deux garçons très différents, mais c’est ce qui nous a rassemblés. Je pense que sur le papier, Steve et moi, c’est la pire compo ! (Il sourit) Tu nous mettais tous les deux côte-à-côte, les gens ne se disaient pas forcément que nous faisions partie du même groupe d’amis. Le fait que nous soyons tous les deux animateurs nous a rapprochés. Je pense que c'est pour ça que nous nous sommes bien entendus. Tous les soirs, il passait à la maison et on dînait ensemble."

Sa perte a été un traumatisme…
"Oui, surtout que j’ai vu le mal que ça a fait autour de moi. Je me suis souvent trouvé égoïste.  Je ne voulais pas, et j’ai toujours eu peur de ça, qu’on soit triste pour moi mais moins pour lui. Beaucoup de personnes étaient là pour me soutenir. Il y a toujours eu beaucoup de monde pour prendre des nouvelles, me faire déculpabiliser et m’aider sur plein de sujets. Je vivais à Treillières et je travaillais dans la même école et avec des collègues qui le connaissaient. J’étais touché et triste, mais c’était pareil pour tout le monde."

"Une affaire d'Etat"

Avez-vous encore des remords ?
"C’est difficile d’y échapper. J’en ai encore un peu, mais ce n’est plus omniprésent. Le fait de l’avoir emmené, de l’avoir déposé (à la Fête de la musique 2019), de lui avoir dit « on se rejoint dans une heure à tel endroit » juste parce qu’on devait dire bonjour à des copains, c’est plein de choses comme ça… Je me dis que si j’étais resté avec lui pendant la soirée, ça ne serait peut-être pas arrivé. Quand tu perds quelqu’un, tu cherches toutes les solutions possibles, mais ça ne ramène pas la personne. C’était une affaire d’État mais tu te rends compte quelques mois après que rien n’a changé dans l’affaire : Steve est toujours décédé d’une cause inconnue, litigieuse. Il est devenu un symbole et c’est tout, les gens sont passés à autre chose."

Suivez-vous l’avancée de l’enquête ou mettez-vous des distances ?
"Je mets beaucoup de distance dans mon quotidien. Je ne suis plus comme avant où je me mettais dans des états lamentables à cause de l’affaire. En revanche, je prends toujours des nouvelles de son avancement quand je téléphone à ses parents, ça m’intéresse de savoir où ça en est. Quand je leur demande, je sais ce qu’ils traversent. Mais je fais attention à ne pas faire de fixation là-dessus."

Dans votre for intérieur, pensez-vous que justice sera rendue ?
"Je ne suis ni avocat ni juge, mais je ne pense pas être le roi des idiots en disant qu’il y a eu une intervention qui n’était pas appropriée. C’était une prise d’initiative seule de quelques policiers sur place : les lacrymos, la façon d’intervenir, et surtout le motif (ndlr : interrompre un concert électro après l’horaire autorisé). Encore une fois, je ne suis pas juge. Mais je sais qu’un gilet jaune qui lance un projectile sur un flic, c’est comparution immédiate et il finit en prison ou prend du sursis dans la seconde. Quand on condamne quelqu’un 7-8 ans après ce genre de drame, ça a été oublié pour pas mal de gens. Je me dis que ça ne va pas créer une grande réaction et changer les choses."

Mais vous ne croyez pas qu’à Nantes, il y aura quand même des gens pour s’en souvenir, lors du procès par exemple ?
"À Nantes si ! Déjà, ça s’est vu l’année dernière, pour la marche du premier anniversaire du drame. Moi, je suis spécialement rentré de vacances pour le 21 juin. C’était agréable de voir autant de monde. Mais je pense, et c’est normal car c’est lié à son territoire, que les gens plus éloignés vont moins s’y attacher. C’est une histoire de proximité."

"Steve était quelqu’un de pacifiste"

D’après vous, la police s’est rendu compte de la violence de son intervention?
"Si je parle de la police, de l'institution, je ne pense pas. Mais je crois que la plupart des policiers, et même ceux qui dirigent, sont conscients des choses qui ont été mal faites. Malheureusement, on parle toujours de ce qui se passe mal. Il y a peut-être un million de contrôles qui se déroulent bien, mais on ne va parler que des cinq qui ont mal tourné. Je sais bien que ce sont des êtres humains, mais ils sont armés d’une matraque et d’un taser. Moi, j’ai un travail avec du matériel : des cerceaux, des plots, des ballons, je ne vais tuer personne. Mais quand tu as un flashball, un 9 mm, une matraque ou un taser qui peuvent blesser voire tuer les gens, c’est autre chose. Ce métier-là, c’est une charge. Sans les policiers, on ne peut pas vivre, mais il faut prendre le temps de bien les former."

Rendre hommage à Steve lors de chaque Fête de la Musique, c’est important ?
"A Nantes, ça ne sera jamais oublié. Tu as été touché par la mort d’un jeune homme, d’un ami, d’un membre de ta famille. Mais il ne faut pas que la Fête de la musique dégénère, pour ne pas laisser une sale image. La meilleure défense que l’on peut faire pour lui, c’est de montrer qu’on ne veut pas se venger. On n’est pas des gens mauvais. On profiter de ce moment comme lui l’aurait fait. Steve était quelqu’un de pacifiste. C’était un bon gars, et c’est pour ça qu’il faut garder cette image-là. Il ne faut pas chercher à rentrer dans le conflit. Nous, on est là pour lui rendre hommage, pas pour rendre justice."

C’est aussi l’image des  « teufeurs » qui est derrière cette affaire…
"Dans la Fête de la musique, il n’y a pas que des ‘‘teufeurs’’, il y a toutes sortes de gens. Et puis, se dire tout de suite « C’était un teufeur ! », « Est-qu’il n’était pas drogué à ce moment-là ? », « Est-ce-qu'il n'est pas tombé tout seul ? », on s’en fiche ! Il peut se droguer devant les policiers, prendre une amende, être arrêté, être mis en garde à vue, mais il ne méritait pas de trouver la mort de cette manière. Je trouve dommage de parler de ça."