"Dans l'idéal je veux une université inclusive" : être en situation de handicap à l'université de Nantes

Entre le manque de moyens financiers et le manque de personnel, les personnes concernées, le médico-social et l’université dialoguent pour faire de l’égalité des chances une réalité. Rencontre avec une étudiante qui souhaite rester anonyme, le référent handicap de Nantes Université et la directrice de l’association “Handisup”. Et selon eux, le chemin est encore long.

"Dans l'idéal je veux une université inclusive" : être en situation de handicap à l'université de Nantes
Campus Tertre de Nantes Université

La loi sur les droits des personnes en situation de handicap de 2005 montre que les mentalités bougent. Cette loi a rendu obligatoire l’accessibilité à divers lieux de la vie citoyenne : une politique de l’adaptation se met en place. Deux années plus tard, la Mission Relais handicap voit le jour, partie intégrante du Service de Santé des Etudiants (SSE). Son objectif ? Accompagner les étudiants en situation de handicap pour favoriser leur réussite scolaire. “On va les accompagner sur l’accès au contenu des cours ou les aider à exprimer leurs besoins”, explique Stéphane Brunat, le référent handicap de l’université. Pour avoir droit à des aménagements, l’étudiant doit être reconnu en situation de handicap par l’établissement et remplir un dossier à la MDPH chaque année. 

Un manque de moyens  

Selon le référent handicap de l’université, 1150 étudiants ont bénéficié d’aménagements pédagogiques l’année dernière et 200 ont bénéficié d’un suivi individuel plus poussé. En 2007, ils n’étaient que 160. Et pour plus de 1 000 étudiants : “On n’est pas nombreux : on est trois. Mais très investis”. Il nous raconte qu’il fait aussi face à un manque de moyens financiers : “Chaque année on a autour de 150 nouveaux étudiants dans cette situation et le budget n’a pas augmenté de manière significative”. Une bonne nouvelle néanmoins : en fin d’année 2022, l’Etat a décidé de doubler le budget. Mais quand l’université de Nantes passe à “Nantes Université” en 2022, elle fusionne avec 3 établissements de la ville. “On est passés d’environ 37 000 étudiants à 43 000 aujourd’hui, on va avoir besoin de plus de moyens”. 

C’est bien ce que L., étudiante depuis quatre ans, craignait : “il faudrait des moyens humains et financiers bien plus importants pour nous aider. Il manque une conscientisation des difficultés qu’on rencontre”. L. a une diplégie spastique liée à une naissance prématurée. “J’ai des difficultés pour lire, m’organiser, écrire, me repérer dans l’espace”. Ce handicap engendre, entre autres, une tonicité des muscles toujours présente qui est très fatiguante et douloureuse au quotidien. Durant ses études, elle a reçu de l’aide de la part de Relai Handicap et de “Handisup”, une association extérieure qui se coordonne avec l’établissement. 

Cette association a été désignée Pôle ressource handicap (PRH) du département en 2018. Elle est financée par 6 institutions, dont la Caisse d’allocations familiales nationale ou la région. Elle agit au niveau des mairies, centres de loisirs, établissements scolaires ou encore des commerces de proximité. Pour l’année 2022, 43 collectivités ont fait appel à “Handisup” pour un suivi qui va de quelques séances à un ou deux ans. En parallèle, l’association a accompagné 175 familles. Elle aussi, fait face à des problèmes de financement qui l’empêchent de pouvoir répondre à tous les besoins du département. Pour ce qui est du personnel, “il y a une pénurie d’accompagnants éducatifs et sociaux (AES), c’est très mal payé.” 

“Il faut toujours redemander” 

Au-delà des problèmes de personnel et de budget, L. nous explique qu’il y a aussi un problème au niveau de l’organisation de ces aides. Elle insiste sur le fait qu’effectuer chaque année les mêmes démarches administratives pour obtenir des aménagements, suffit pour se sentir à la marge. Pour elle, c’est un signe que l’inclusion n’est pas aboutie : “Dans l’idéal, l’université que je veux, elle est inclusive. Un endroit où personne n’aurait besoin de faire des démarches indirectes pour s’en sortir. Un endroit où les aides sont là, sans avoir besoin de les demander.” Derrière ces demandes incessantes, il y a une personne en situation de handicap pour qui ça peut être un réel défi. L. raconte que “ça met une charge mentale énorme au quotidien sur l’étudiant. C’est compliqué parce que ce n’est pas automatique. On peut aller demander de l’aide à Handisup ou Relai Handicap mais tout le monde n’est pas forcément à l’aise pour prendre contact avec des gens qu’il ne connaît pas.” L’enjeu est grand : si l’étudiant ne fait pas de demande, il n’a droit à aucun aménagement.  

Très récemment, depuis décembre dernier, un nouveau système permet aux étudiants qui restent dans la même formation et qui ont un handicap qui n’évolue pas dans le temps, de faire une demande pour la durée de la licence ou du master. Les critères sont précis et peuvent être délicats à établir, à voir comment cela fonctionnera. 

Au milieu des aides et des services à sa disposition, L. dit se trouver dans une situation très délicate : “Je suis tiraillée entre mes valeurs et mon besoin d’être aidée. Je n’ai pas envie de pointer du doigt des gens qui m’aident et avec qui je m’entends bien. Mais il y a encore du validisme dans beaucoup d’aides que j’ai pu recevoir. J'en viens à me demander s’il ne vaudrait mieux pas que j’essaye de me débrouiller toute seule.” 

Un enjeu politique de société 

Nadège You, la directrice de l’association “Handisup” fait aussi le constat d’une société qui n’a pas assez évolué en matière d’inclusion. Pour elle, après 17 ans de carrière, les mentalités doivent bouger davantage. “J’aimerais que le handicap ne soit plus une question. Que quand quelqu’un avec un handicap arrive quelque part, tout soit déjà prévu.” Stéphane Brunat exprime la même idée : “Il faudrait que le handicap concerne tout le monde à son niveau. C’est une question de société, chacun doit le prendre en compte dans sa mentalité.” Le manque d’inclusivité à l’université serait donc un problème qui débute dans la société, dans les représentations que chacun de nous se fait sur le handicap.  

Pour L., tout a changé quand elle avait 16 ans. “Quand j’ai découvert le terme validisme, il y a beaucoup de choses qui ont fait tilt dans ma vie. Maintenant je m’affirme davantage, légitime d’exprimer ce que je ressens, faire des choix pour moi et pas ceux que la société aimerait que je fasse”. Le terme “validisme” vient des Etats-Unis de 1960. Il dénonce le fait que l’individu n’est pas réductible à une différence qui devient un handicap dès lors que l’environnement dans lequel il vit le considère comme anormal, en dehors des normes sociales. Et c’est de cela que L. nous parle : “L’idéal, ce serait que le handicap soit politisé davantage. Je pense que la société a une représentation complètement faussée de la réalité des personnes handicapées et cette conscientisation m’a permis de ne pas m’y enfermer.” 

L. et Nadège You font le même constat : le handicap est une question de société et une question politique. La directrice de “Handisup” explique que c’est tout le modèle d’enseignement qui doit être revu. Pour elle, le problème d’exclusion dans le milieu scolaire débute très tôt : “Dès l’enfance ils sont séparés des autres dans des établissements spécialisés à temps plein ou à temps partiel. Donc à l’âge adulte, certains ont l’impression de ne pas savoir comment faire avec eux”. Elle rappelle qu’en début décembre dernier à Lyon, un enfant s’est fait exclure temporairement de la cantine car il avait fait une crise de par son autisme. “Il y a encore beaucoup d’exclusions. Le problème, c’est que le handicap fait peur, par inquiétude et par méconnaissance de la réalité des personnes en situation de handicap.” 

Pour elle, la seule solution est de continuer à sensibiliser dans tous les domaines, pour que la société change jusqu’à ce que les dirigeants politiques la suivent : “Si on attend que ça bouge au niveau politique, ça ne marchera jamais. Les choses avancent parce qu’il y a des initiatives de terrain qui fonctionnent. Il y a des choses qui sont faites pas l’État, mais entre ce qui est décidé dans un bureau institutionnel et la réalité du terrain, il peut y avoir une grande marche.”