“On en a marre des gestes symboliques” : entretien avec Tara, franco-iranienne

INTERVIEW - Tara est franco-iranienne, elle a de la famille en Iran et elle réside à Nantes. Elle explique pourquoi tous les samedis depuis plus de trois mois, les membres du collectif « Femme, Vie, Liberté Nantes » se mobilisent devant l’église Saint-Nicolas. Leur but : sensibiliser, dénoncer la politique des mollahs et montrer au peuple français et à son gouvernement qu’il est possible d’agir.

“On en a marre des gestes symboliques” : entretien avec Tara, franco-iranienne

Qu’est-ce que le mouvement “Femme, Vie, Liberté” ?
Le mouvement « Femme, Vie, Liberté » a commencé le 16 septembre en Iran, après la mort d’une jeune fille de 22 ans qui avait mal mis son voile et qui a été arrêtée par la police des mœurs. Elle est morte 3 jours après. Tout de suite après il y a eu des mouvements pour dénoncer cette police et la loi du port du voile obligatoire dans le pays. Ils ont lieu surtout dans la région du Kurdistan en Iran et ils se sont propagés partout, dans toutes les régions, toutes les villes, même dans les villages. Ces mouvements durent encore. Il y a plusieurs jours la police a commencé à exécuter des manifestants. On compte à peu près 460 morts. Ils tirent à balles réelles et ils ont tué environ 60 mineurs dans la rue. Nous sommes là pour revendiquer l’arrêt des relations avec ce régime. En tant que franco-iraniens et iraniennes on veut qu’il n’y ait plus aucune relation. Quand je pense au moment où Macron a serré la main du président Iranien, ça me dégoûte. On en a marre des gestes symboliques. C’est sympa de se couper une mèche de cheveux mais ça ne sert strictement à rien. Nous avons besoin de gestes sérieux. Que l’Union Européenne, la France, l’Occident, disent qu’il faut respecter les droits de l’homme. Leurs gouvernements doivent faire un vrai geste. Par exemple, mettre dehors les diplomates iraniens, ça, ça peut vraiment servir.

Depuis combien de temps venez-vous vous mobiliser ici ?
Depuis le 3 octobre, on est là tous les samedis. Avant nous allions à Place Royale. Avec le marché de Noël qui s'y est installé, on s’est déplacés ici devant l’élise St-Nicolas. Et on continuera.

En venant ici, que voulez-vous que les Françaises et les Français retiennent ?
Nous venons ici pour que les Français soient au courant de ce qui se passe en Iran et qu'eux aussi mettent la pression sur notre gouvernement. Parce que ça ne concerne pas que le peuple iranien et la communauté franco-iranienne. La France est mon pays aussi, donc je me sens autant responsable de ce qui se passe en Iran, qu’en France. Il ne faut pas oublier que les Français ont aussi subi les conséquences de l’extrémisme islamique avec Daesh. Donc on ne peut pas dire que ça se passe que là-bas et que ça ne nous regarde pas. C'est un virus qui peut se propager très vite, et s’il arrive ça sera trop tard.

Vous disiez que vous attendez des Français qu’ils aident à faire pression, mais comment faire ?
Il y a des pétitions que les citoyens peuvent signer, pour défendre tous ceux qui sont condamnés et emprisonnés et même certains qui sont menacés à l’exécution. Avec la pression que la société internationale peut mettre, on peut retarder et même carrément annuler ce genre d’actes et c’est ce qu’on demande.

Donc vous pensez que les citoyens Français ont le pouvoir d’annuler ces exécutions ?
Bien sûr qu’on a le pouvoir. Parce que rien qu’en parler autour de nous, cela fait que le gouvernement Iranien ne se sentira pas en sécurité. Pour qu’il ne sente pas que tout lui est permis.

Quel discours aimeriez-vous que les médias donnent sur la révolution iranienne ?
On aimerait bien qu’on donne la parole au peuple qui est sur place. Monsieur Macron a reçu quelqu’un qui s’auto-réclame le leader de la révolution alors que ce n’est absolument pas le cas. On aimerait que l’Occident ne crée pas d’alternatives pour l’Iran : l’alternative se crée à l’intérieur du pays et pendant la révolution. On n’a pas besoin qu’on donne la parole à d’autres. Par exemple, il y a des royalistes aux États-Unis qui n’ont jamais vécu en Iran et pourtant on leur donne la parole comme s'ils étaient légitimes d’être porte-parole du mouvement. Mais le peuple iranien a été clair : les gens ne veulent pas de roi et ne veulent pas de mollahs (chef religieux islamique).

Est-ce que vous arrivez à garder un contact avec des personnes en Iran ?
C’est très, très dangereux. Personnellement, avec ma famille proche je garde très peu contact. C’est juste « comment ça va », « oui, tout va bien » et c’est tout. On ne parle pas des détails, on ne parle pas de ce qui se passe là-bas parce que ça les met en danger. Tout est contrôlé et surveillé. Il n’y a pas de médias libres en Iran. On essaye de les protéger en ne leur demandant pas de parler de ces événements au téléphone ou sur les réseaux. Parce que sinon, le régime les cherchera et les attrapera, et ils seraient emprisonnés.

Tous les Iraniens sont sous écoute, les téléphones sont fouillés ?
Bien sûr. Beaucoup de gens ont été arrêtés chez eux à cause de ça.

Comment pensez-vous que la révolution iranienne va impacter la région ?
La région est déjà impactée. Des femmes en Afghanistan ont suivi le mouvement, et ont organisé les mêmes manifestations, avec les mêmes slogans. Il y a un slogan que j’adore : « De Kaboul à Téhéran, à bas les Talibans ». C’est pour montrer que les Talibans, en Iran ou en Afghanistan, c’est la même chose. On veut dire qu’on ne veut pas de régimes théocratiques dans toute la région. On voit justement que les régimes s’aident entre eux. S’il y a un seul pays au Moyen-Orient qui a un gouvernement démocratique, ça va se propager très vite et ça leur fait peur. Donc ils ont un intérêt à se soutenir.

Est-ce vrai que l’Iran a pour méthode de déclarer la guerre à l’Irak en temps de révolution ?
Ils ont déjà envoyé pas mal de missiles au Kurdistan Irakien. Dès qu’il y a un problème ils font la guerre, pour distraire et pour stabiliser le régime. C’était déjà arrivé quelques années après la révolution de 1979. A ce moment-là c’est cette guerre qui a stabilisé le régime, parce que le peuple a dû se mobiliser contre un ennemi étranger. Et c’est tout ce que le régime voulait.

Comment voyez-vous l’abolition récente de la police des mœurs ?
C’est totalement faux. La police n’a pas été abolie. En fait, le corps de la femme en Iran, c’est le pilier, c’est le manifeste de ce régime. Ils ne peuvent pas faire autrement. La répression des femmes ne va pas s’arrêter aujourd’hui. Ils peuvent dire qu’ils abolissent cette police des mœurs, mais la loi du port du voile obligatoire est toujours là. Donc ça ne change rien. Une autre police va se mettre en place, ce sont juste les noms qui vont changer.