Qatar : le comportement douteux de l'OIT face à un système d'esclavagisme moderne

Infractions aux droits de l’homme adossées au système “kafala”, comportement douteux au sein de l’Organisation Internationale du Travail : le football en pleine crise alors que le monde s'apprête à soutenir ses équipes pour le mondial ce week-end.

Qatar : le comportement douteux de l'OIT face à un système d'esclavagisme moderne
Coupe du Monde 2022

La question du boycott du mondial, au nom de la défense des droits de l’homme et du défi climatique, pèse sur chaque spectateur et spectatrice. L'événement tant attendu de la coupe mondiale de football perd de son charme et de son ambiance festive. A chaque débat concernant le boycott du mondial de football, s’invite l’argument implacable de vérité : si quelque chose devait être fait pour empêcher et lutter contre ces drames, il aurait fallu lever le poing plus tôt, il y a plus de dix ans. Au mieux, au moment de l’attribution du mondial au Qatar, ou du moins, au moment des premières révélations d’infraction. Sur qui faire peser la responsabilité de milliers de morts et des souffrances quotidiennes des travailleurs migrants ? Beaucoup d’enquêtes sont en cours et les révélations s’enchaînent. Retour sur le rôle de l’OIT dans cette affaire.

Le lancement d’une première enquête 

Le 28 juin 2022, Blast Info invite Abdoullah Zouhair pour leur premier épisode d’une longue série de révélations sur l’émir. Cet homme, c'est un consultant international spécialiste du Qatar qui faisait autrefois partie du Bureau International du Travail, le secrétariat de l'Organisation Internationale du Travail, une des 11 agences spécialisées de l'ONU. Au vu de l’infraction des droits de l’homme et du droit international du travail, plusieurs organisations syndicales déposent une plainte en 2014 à la conférence internationale du travail. Une enquête est alors lancée par l'OIT. Car déjà en 2014, plusieurs centaines de morts sur les chantiers mais aussi à cause des conditions de vie très difficiles, étaient recensés. Aujourd’hui, on recense au moins 6500 personnes décédées. Mais ce chiffre est largement sous-évalué selon plusieurs ONG. 

Dans ce contexte de grandes tensions, Abdoullah Zouhair se rend sur place la même année, invité par le ministre du travail du Qatar qui lui demande de garder cette rencontre secrète. Mais il décide d'en informer tout de même le BIT afin de faire avancer concrètement cette affaire. Le ministre du travail refuse alors d'abolir le système "kafala" de travail forcé, si l'OIT ne lui accorde pas certaines exceptions. L'exception ici ne confirme aucune règle, car la commission d'experts pour l'application des conventions dit que "l'abolition du travail forcé est une norme impérative qui relève du droit international et qui n'admet aucune exception", rappelle l'ancien membre du BIT.

Le système “kafala” 

La réalité qui se cache derrière le système “kafala” c’est une mise sous tutelle des travailleurs migrants. Ce système leur accorde un salaire d'à peine 300 à 400 euros par mois, les prive de leur titre de passeport, leur interdit de changer d'emploi et les oblige à vivre dans de médiocres conditions de logement et plus largement, de vie. Il leur arrive de travailler plus de 80 heures par semaine. La "kafala" est un système généralisé principalement au Moyen-Orient, qui n'est pas officiellement légal, mais les textes de lois au Liban par exemple, sont adaptés pour permettre son exercice. 

Un dénouement déroutant 

Comment comprendre que l'OIT ait débuté une enquête en 2014 et qu'en 2022, on ne recense plus des centaines de morts, mais plus de 6 000 ? Pourquoi cette enquête a-t-elle échoué à l'abolition du travail forcé au Qatar ? Un accord fut conclu en 2017 par l'OIT : contre 25 millions de dollars de soutien technique à payer par le Qatar, la plainte de 2014 fut classée sans suite. Cet accord a été décidé après l'exclusion d'Abdoullah Zouhair de cette affaire et après le remplacement de la directrice à la tête du département des normes Cleopatra Doumbia-Henry qui occupait ce poste depuis plus de dix ans, par une nouvelle directrice qui a pris la décision de cet accord. Nous avons donc une réponse partielle à cette question. Car ce qui a poussé l'OIT à changer de directrice n'est pas clair. 

Mais nous pouvons imaginer, au vu de la puissance économique du Qatar, et au vu de l'importance de l'événement de la coupe du monde de football, que des intérêts économiques et politiques sont en jeu. En refusant de boycotter le mondial, les représentants d'Etat ne prennent pas de position claire vis-à-vis du travail forcé au Qatar. Et les membres des organisations de football, entraîneurs et joueurs, malgré tout leur travail, leurs longues heures d'entraînement, aussi. Et aujourd'hui, face à la question "faut-il regarder la coupe du monde ?", le public chancelle. Car oui, le public ne devrait pas porter la seule responsabilité de boycotter cet événement. Mais quel message notre indifférence à ces révélations donne-t-elle au monde ? L'indifférence de la part des principaux acteurs et représentants de leur pays déplace donc aujourd'hui la responsabilité et avec, le sentiment de culpabilité, à un public n'ayant aucune main mise sur l'application du droit international.   

A voir comment continuera de se dérouler cette coupe du monde. Car il y a de quoi se demander à quoi vont ressembler les rues, les terrasses des bars, les conversations autour de la table, pendant la diffusion des matchs.