Quand l’hyperréalisme nous rend hyper sensibles
Depuis le 7 avril, le Musée d’arts de Nantes propose une exposition pas comme les autres : Hyper sensible. Pendant cinq mois, le musée expose des sculptures hyperréalistes, une forme d’art peu représentée en France. L’exposition dure jusqu’au 3 septembre 2023.

C’est sous la verrière du patio du musée, éclairé d’une lumière naturelle, que les visiteurs déambulent au milieu des sculptures. Avec l’exposition Hyper sensible, Un regard sur la sculpture hyperréaliste, la pièce offre aux curieux différentes perspectives sur les œuvres. Apparaissent des corps d’hommes, de femmes, d’enfants, debout, allongés, certains nus, d’autres qui se cachent. Des sculptures fidèles à la reproduction du corps humain, de ses postures et de ses expressions de visage. Nous voilà embarqués à la découverte de l’hyperréalisme.
« L’exposition est perturbante », résume Sandrine Lesage, médiatrice culturelle du Musée d’arts de Nantes. Le musée possède l’une des plus grandes œuvres de l’hyperréalisme, Flea Market Lady (La femme du marché aux puces) de Duane Hanson, sculpteur américain. C’est la seule collection publique française à conserver une sculpture issue de ce mouvement artistique. Grâce à des prêts d’institutions et de galeries internationales, Hyper sensible réunit une quarantaine d’œuvres des années 1970 à nos jours. « Avec l’hyperréalisme, on revient à l’art figuratif poussé à l’extrême ».
Les onze artistes de l’exposition font réfléchir les spectateurs sur le corps humain, qu’il soit nu ou habillé. Certaines œuvres ont nécessité près de 4 000 heures de travail. Les pionniers de l’hyperréalisme représentent le corps humain dans son intégralité ou par fragments, comme l’artiste français Gilles Barbier. Son œuvre intitulée Hello met en scène cinq mains aux gestes différents. « L’hyperréalisme, c’est comme un miroir qui nous est tendu. C’est de l’illusion, c’est une représentation très détaillée de notre corps. Les spectateurs s’observent à travers les œuvres ».
« C’est bluffant »
Deux bébés nus, recroquevillés, peau lisse, vrais cheveux mouillés. C’est Babies, l’œuvre de Sam Jinks, artiste australien. Une sculpture d’un réalisme impressionnant et saisissant. Les visiteurs sont interloqués.
« Les bébés sont plus vrais que la réalité. On a l’impression qu’ils viennent tout juste de naître, qu’ils vont bouger. C’est dingue », réagit Lauriane. Fabien est revenu voir l’exposition, mais cette fois-ci accompagné de son fils. « Je n’en reviens pas », confie le papa, à la sortie du musée. Il poursuit : « Au-delà du réalisme et de la technique, les personnages procurent de l’émotion ». Et cette visiteuse de constater : « On a presque envie de les prendre dans nos bras, tellement ils sont réels. Ils font partie des visiteurs. C’est très déconcertant et en même temps fabuleux ».
Babies, Sam Jinks
Les sculpteurs placent l’homme au centre de leur démarche, travaillent son corps et son apparence. Devant l’œuvre Babies, Sandrine Lesage constate « La position des bébés accentue la sensibilité du spectateur. Ils sont dans une position fragile, vulnérable ». Elle poursuit : « avec l’hyperréalisme, le visiteur peut s’identifier à l'œuvre et ressentir différentes émotions ».
L’hyperréalisme, une expérience intrigante et sensible
L’hyperréalisme est né dans les années 60 aux États-Unis. Il consiste à reproduire une œuvre proche du réel. L’artiste doit faire douter le spectateur de sa propre perception. Les visiteurs sont conquis. « Ce qui m’impressionne, c’est surtout les détails des corps. Les expressions des visages, la pigmentation de la peau. Même jusqu’au bout des ongles, on aperçoit toutes les irrégularités du corps. C’est bluffant », explique Carole, troublée devant l'œuvre de l’artiste américaine Tip Toland, If I Hold My Breath, Will I Rise ? (Si je retiens mon souffle, vais-je m’élever ?). C’est la première fois que l’œuvre est exposée en Europe.
If I Hold My Breath, Will I Rise ?, Tip Toland
Depuis l’apparition du courant artistique, les matériaux ont évolué au fil du temps. À partir de 1980, pour augmenter l'effet d’illusion, les artistes utilisent le silicon et la fibre synthétique. L’hyperréalisme mise sur le détail. C’est pourquoi, certains sculpteurs travaillent avec des matériaux issus de la chimie de synthèse comme la fibre de verre et les résines polymères. D’autres se tournent vers des matériaux plus traditionnels. L’américaine Tip Toland utilise de la céramique. John DeAndrea réalise ses sculptures à l’aide du bronze.
Devant les œuvres, les spectateurs peuvent créer leur propre histoire. « Les sculpteurs parlent de l’évolution du corps humain dans le temps et la société », explique Sandrine Lesage. Elle ajoute : « L’exposition questionne la relation entre le visiteur, l'œuvre et l’artiste. Les sculptures représentant l’être humain nu, jeune ou âgé, font beaucoup réagir. Certains visiteurs sont impressionnés. D’autres sont mal à l’aise ». Sandrine Lesage conclut : « c’est la beauté de l’art, il fait réfléchir ».
Théophile Péchon