Rencontre avec Mathieu Bablet : “La science-fiction sert à exorciser nos inquiétudes”

En seulement quatre albums, Mathieu Bablet s’est imposé comme une figure de proue de la bande dessinée française de science-fiction. Sa dernière œuvre, "Carbone & Silicium" est repartie avec le Prix Utopiales BD en 2021. Il était de retour lors de la dernière édition du célèbre festival de science-fiction nantais mais cette fois-ci en tant que président du jury pour le même prix.

Rencontre avec Mathieu Bablet : “La science-fiction sert à exorciser nos inquiétudes”
Mathieu Bablet et son jury ont décerné le prix Utopiales BD 2022 à Elene Usdin pour René.e aux bois dormants.

Vous avez gagné le prix Utopiales BD l’année dernière, ça représente quoi pour vous ?

Mathieu Bablet : C’est mieux qu’un prix à Angoulême ! Aux Utopiales on a un public de SF exigeant et la compétition est rude. Bien qu’il y ait peu de BD dans le domaine de la science-fiction, celles-ci sont de grande qualité. Pour moi, c’est une vraie reconnaissance par mes pairs.

Vous êtes un habitué du festival maintenant, ça vous fait toujours plaisir de venir aux Utopiales ?

C’est l’un de mes festivals préférés. Je suis tellement habitué aux événements où le pinacle de la journée c’est la dédicace. Mais ici il y a des expos, des tables rondes et des conférences. On baigne dans un milieu intellectuel que j’apprécie beaucoup.

Cette année vous êtes président du jury BD, comment se prépare-t-on à cette tâche ?

C’est un exercice compliqué. Il y a beaucoup de débats avec le jury car le gagnant d’un prix ne fait pas toujours l’unanimité. Chacun a ses propres critères subjectifs qui vont faire monter telle ou telle BD au classement. Pour moi une bonne BD doit être capable de me remuer tout étant fluide sur la narration.

Quel est pour vous la recette à suivre pour faire une bonne BD de science-fiction ?

Une bonne histoire de science-fiction repose sur trois éléments. L'univers, les personnages et la thématique. Le but étant de faire imbriquer ces trois éléments de la manière la plus égale possible. Parfois on va tomber sur une œuvre avec un "world building" (univers) très sophistiqué mais des personnages trop archétypaux. Une autre fois, c’est les personnages qui vont être plutôt bons mais le récit trop faible. C’est un savant mélange à trouver.

La science-fiction doit-elle toujours être politique et pessimiste ?

La science-fiction part en général d’un constat négatif. A partir d’un postulat plutôt sombre, on peut créer des tensions, des obstacles au niveau de l’histoire avec pour enjeu de transformer le monde ou la société. La science-fiction est là pour exorciser nos inquiétudes. Certes mon œuvre a un discours politique mais c’est pas obligatoire. Rien qu’en termes de divertissement, la science-fiction est déjà un excellent genre. L’important pour ce genre c’est d’être capable de libérer les imaginaires.

Quels ont pu être tes principaux défis en termes d’écriture sur ta dernière réalisation ?

Sur Carbone & Silicium, le but était d’insérer toutes les thématiques que j’avais à cœur. Dans cette histoire d'effondrement, (Carbone & Silicium narre les pérégrinations de deux robots sur plusieurs siècles alors que la civilisation humaine s’écroule, ndlr.) c’était impossible, pour moi, de ne pas y intégrer un versant économique, social et migratoire tout en y mêlant des thématiques liées à la robotique. Du coup, on a l’impression d’avoir des pièces de Lego, qu’il faut agencer dans un certain ordre. Sauf qu’en dessous il y a encore d’autres pièces de Lego : les personnages ou l’histoire et qu’il faut aussi agencer. Le but étant de faire en sorte que ça soit logique et que ça fonctionne. C’est un véritable challenge intellectuel.

On constate depuis quelques années un vrai succès du manga en France qui devient plus populaire que la BD franco-belge auprès de la jeunesse. Qu’en pensez-vous ? 

Les deux coexistent mais le manga est largement plus populaire aujourd’hui. Les sondages montrent que la BD franco-belge est majoritairement achetée par des gens diplômés et plutôt aisés ayant plus de 40 ans. La BD franco-belge a perdu son côté populaire mais elle l’a voulu. Dans les années 1970 des revues comme Pilote ou Métal Hurlant ont cherché à s’éloigner du lectorat jeunesse. Idem plus récemment avec les romans graphiques et la vague des récits autobiographiques. Le manga a comblé un espace devenu vide. Aujourd’hui c’est très compliqué de faire de la BD populaire et c’est ce qu’on essaie de faire avec l’éditeur Label 619 (la série Midnight Tales, ndlr). Ça va être difficile de revenir en arrière mais c’est un bel objectif pour la BD.