Santé – colères, manifestations et lassitudes

REPORTAGE - En fin d'année 2022, Nantes a vu son personnel soignant se mobiliser. Le CHU, les cliniques, les étudiants, les médecins ont battu le pavé pour protester et revendiquer. Les mobilisations ont été nombreuses, éparpillées et la situation reste inquiétante. Article co-écrit par Quentin BELLETOISE et Lilian GODARD en janvier 2023

Santé – colères, manifestations et lassitudes
Crédit : Kydam @kydam_piecasse sur Instagram

Le monde de la santé a franchi le seuil du ras-le-bol. L’actualité des protestations ne s’arrête pas. En cause, des situations critiques qui touchent tous les professionnels, dans le public comme dans le privé, dans les grandes villes comme en campagne. Urgences surchargées, manque de lits dans les hôpitaux, personnel soignant fatigué, déserts médicaux qui s’étendent… Le système de santé français affronte une crise majeure.

À Nantes, les mobilisations s’enchaînent depuis plusieurs mois : le 14 octobre, 550 futurs médecins ont protesté contre la mise en place d’une quatrième année d’internat et de stages obligatoires dans les déserts médicaux. Le 18 octobre, environ 300 salariés de plusieurs cliniques nantaises ont manifesté dans le centre pour de meilleures rémunérations.

Depuis le 23 octobre, plusieurs services des urgences du CHU sont en grève illimitée. En ce début d’année, le mouvement persiste toujours mais dissimulé par l’impératif de travail. Les urgentistes dénoncent un manque de moyens. Mi-novembre, 95% des laboratoires d’analyses médicales ont déposé un préavis pour trois jours. Pendant un mois, un mouvement social pour l’augmentation des salaires et l’embauche de personnels a secoué la clinique Jules Verne. Le 17 novembre, 600 étudiants ont parcouru une nouvelle fois le centre de Nantes contre la réforme de leurs études. Le lendemain, plus de 400 membres du CHU ont manifesté pour revendiquer du personnel, des lits d’hospitalisation et une hausse significative des salaires. Finalement, l’année 2022 s’est terminée avec la grève des médecins généralistes, durant deux semaines.

Des conditions de travail dégradées dans le public... et dans le privé

Sur le front de la crise, l’hôpital public apparaît en première ligne. Mais le personnel de la clinique Jules Verne affronte des problèmes similaires. Là-bas aussi il est question de faire des économies. Les réaffectations se multiplient : « On nous envoie dans des services où nous ne sommes pas spécialistes donc peu expérimentés, la qualité des soins se dégrade forcément » confie une aide soignante.Le privé motive pour ses conditions de travail réputées plus intéressantes. Les soignants déchantent lorsque leur direction présente un emploi du temps « optimisé » à l’aide d’audits. À savoir l’appel à des cabinets de conseil spécialisés dans le management. Les changements d’équipe ne se font plus en 3x8 mais en 2x12, afin d’économiser, au détriment de la qualité de soin en fin de service.

Aussi, le salaire ne compense pas ces conditions dégradées. Notre aide-soignante nous explique gagner seulement 1400 euros net par mois à 80% après 12 ans d’ancienneté. Quand on compare au public, on constate dans certains cas une différence de 1000 euros brut pour 20 ans d’ancienneté. Elle ajoute : « En cumulant les conditions de travail et le salaire, ça n'attire plus et les gens partent. J’ai une collègue qui a préféré l’usine Sodebo car les conditions et le salaire étaient plus attirants ».

C’est pourquoi le personnel de la clinique s’est mobilisé pendant un mois « dans une atmosphère géniale, d’unité et de solidarité ». Finalement, la grève a pris fin le 21 novembre, avec quelques accords mais « beaucoup d’amertume » chez les manifestants.

Crédit : Kydam @kydam_piecasse sur Instagram

« Il faudrait un changement de fond, total ! »

Les revendications issues des différentes mobilisations se concentrent sur les conditions de travail et les rémunérations. La situation impose des mesures politiques conséquentes. Le discours d'Emmanuel Macron apporte des pistes de réformes. Pourtant, elles ne semblent pas convaincre. Deux cadres du CHU avouent ne pas l’avoir suivi mais les quelques informations qu'elles ont vu renforcent leur colère : « On n’arrête pas de réorganiser depuis plusieurs années. Le personnel n’en peut plus. On constate une perte de sens, de la fatigue et un manque d’attrait du métier ». L'une d'elle se dit « désabusée ». Elle n’attendait pas beaucoup des paroles du Président : « Vu l’état de l’hôpital, il faudrait un changement de fond, total ». Selon une cadre des urgences, « les médecins ne veulent plus faire de régulation. Peut-être que ce que propose le Président pourrait remédier à cette absence ». Après les paroles, les professionnels du soin attendent les actes d'un exécutif au pouvoir depuis plus de cinq ans.

Des étudiants distants

Mobilisés à deux reprises contre la réforme de leurs études, les étudiants ont montré qu’ils n’étaient pas seulement la tête dans le guidon. Leurs manifestations du 14 octobre et du 17 novembre ont rassemblé des centaines de personnes. Cependant, devant le Restaurant Universitaire, quelques jours après le discours d’Emmanuel Macron, presque personne n’avait entendu parler de ses projets de réformes. Chloé, Kévin et Alexandre, en troisième année de pharmacie, n’ont pas suivi l’actualité politique. Kilian et ses amis, en quatrième année de médecine, avaient participé à la manifestation étudiante du 17 novembre. Il a entendu parler du discours indirectement : « Je n’ai pas suivi, mais j’ai vu une information passer dessus ».

Si l’actualité politique concerne peu les futurs professionnels de la santé, ceux-ci saisissent tout de même les problèmes qui touchent leur domaine. « La colère existe aussi chez les étudiants, mais elle n’est pas assez forte pour se joindre à leurs aînés. La plupart restent dans un rôle d’apprentissage, à distance », explique une étudiante à l’Ifsi (Institut de formation en soins infirmiers). Personnellement, elle rejette le discours de Macron : « Il souhaite augmenter les effectifs infirmiers, très bien, mais sans un investissement massif dans la santé, le métier ne peut pas attirer. Il parle de réorganisation de l’hôpital public, mais les réorganisations n’arrêtent pas depuis des années. Ce sont des paroles dans le vide ».

Les mobilisations resteront-elles éparpillées ?

Les manifestations de colère ont été nombreuses, mais éparpillées. Si les réponses du pouvoir politique ne convainquent pas, le monde de la santé ne s’est pas pour autant rassemblé. Les étudiants de médecine ont manifesté le 17 novembre, la veille de la manifestation du personnel du CHU. Chez les cliniques, il n’y a pas eu non plus de convergence des luttes.

Pourtant, beaucoup constatent un besoin de refonte du système. Une cadre des urgences du CHU remarque : « Les soignants n’arrivent pas à se mobiliser tous ensemble. Puis aujourd’hui, je vois que mes équipes n’ont pas envie de se mobiliser. Elles disent que ça ne sert à rien. D’autant plus, que nous voulons des changements immédiats mais surtout sur le long terme ».

Malgré la colère, la lassitude mènera-t-elle à la résignation ? Une chose est sûre, la population soutient son personnel soignant. Une enquête IFOP réalisée avant la Présidentielle 2022 le prouve : 90% des sondés approuvent que « L’hôpital public est en souffrance et mérite qu’on lui apporte des solutions immédiates et de long terme ».